mardi 8 décembre 2015

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie ou comment on devient noire


Ce roman est mon coup de coeur de l'année. Et oui, rien que ça.

©souadzart

Il ne pouvait que me plaire, il est génialement... Capillaire ! Comment ça ? Tresses, nattes, boucles, extensions, défrisage, tout y est, et surtout l'ambiance du salon de coiffure dans lequel se rend la narratrice. Les échanges qui s'y tiennent témoignent avec ironie de la société dans laquelle elle vit. La coiffure, un souci quotidien, témoin de l'appartenance à un groupe, est ici l'étalon-or qui marque le degré de conscience des différences, et rend difficile ou pas l'acceptation de sa propre identité. C'est un thème récurent dans ce livre : les cheveux comme élément d'appartenance sociale et de différenciation, entre les blancs et les noirs notamment. Cheveux frisés, crépus, lisses, bruns, blonds ou roux…. Ce n'est donc pas un hasard si le livre commence dans un salon de coiffure où Ifemelu passera plus de six heures à se faire natter les cheveux, et aura ainsi le temps d'évoquer sa vie.
Il est ici question de son parcours de jeune Nigériane trentenaire, conduite à émigrer à Philadelphie aux USA du fait de la situation instable de son pays.
Son amour d'enfance Oblinze a, quant à lui part en Angleterre.
Après une phase d'intégration à la société Américaine notamment par les livres et la tenue d'un blog destiné aux Africains vivant aux US, Ifemelu remet, au bout de quinze ans, profondément en cause sa situation.
Alors qu'elle a un grand succès avec son blog, elle arrête tout, quitte son petit-ami et décide de reprendre son identité Africaine en rentrant chez elle.
Retrouvera-t'elle ce et ceux qu'elle y avait laissé. Retrouvera-t'elle Oblinze revenu de son côté, comme nombre de ses congénères faire fortune au Nigeria ?

Le roman brillamment construit autour d'une série de flashbacks évoquant la jeunesse d'Ifemelu au Nigeria, son amour pour Obinze et ses années américaines, s'attache également, en  parallèle, au parcours d'Obinze en Angleterre.
Cela aurait pu être l'histoire simple de deux amoureux séparés, c'est sans compter sur la plume très forte, ironique et totalement dénuée de mièvrerie de l'auteur.

Les difficultés de l'émigration, de l'immigration, le racisme actuel aux USA et en Europe, les relations interraciales, sont au cœur de ce récit passionnant. Elles sont abordées très franchement, sans langue de bois. Le déracinement et le racisme sont très bien décrits. Non pas l'acte raciste ignoble, mais une chose plus insidieuse, celle qui s'installe sans la voir venir dans nos cultures, dans l'évolution du langage vers le politiquement correct notamment et qui, sans éclat influence notre façon de voir la société. (par ex. il compliqué de dire noir en France, on préfère dire black et aux US afro-américains...).
Adichie, conteuse phénoménale réussit en quelques lignes à croquer des portraits de personnages appartenant à des communautés très diverses : WASP, noirs américains, noirs non-américains., americanahs c'est à dire les Nigérians ayant vécus à l'étranger, les nouveaux riches... Son sens du détail, son soucis de coller à des sujets contemporains et sa plume superbement fluide en font pour moi un talent "Balzacien".
J'ai beaucoup aimé le passage où Ifemelu explique s'être rendu compte qu'elle était noire à l'aéroport aux USA. En effet, avant qu'elle parte, dans son univers tout le monde était noir et il n'y avait pas de différence en termes de couleur de peau. Black/White. Finalement, les choses n'existent que par le contraire de ce qui les nomme.
«En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire.»
Un livre à lire absolument. Surtout en ces temps troublés.

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie
Trad. de l'anglais (Nigeria) par Anne Damour
Collection Du monde entier, Gallimard. 528 Pages.
Parution: Janvier 2015       24,50 euros

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